LE CONTEXTE

Lettre du 18 octobre 1915, écrite à l’hôpital de Sainte-Menehould.

Ma très chère Madeleine,

Je t’envoie cette lettre avant que la mauvaise nouvelle ne vienne à toi. Un grand assaut s’est déroulé hier. Nous avons échoués. Beaucoup de mes camarades sont morts pour reprendre un morceau de terre que nous avons été incapable de conquérir. Les Bosh se sont bien plus préparés que nous. Nous vivons dans la boue, sous terre dans nos tranchées de fortune et eux semblent vivre dans un quatre étoile. Leur tranchée a été imprenable hier, mais aujourd’hui d’autres de nos camarades tenteront de la reprendre. Que Dieu les protège.
Si je t’écris mon amour, c’est pour t’informer de mes blessures. Par miracle je suis sauf, cet Enfer ne m’a pas eu aujourd’hui. Ne t’inquiétes pas pour moi, ne vient pas ma chère et prend plutôt soin de mon petit Louis qui a dû bien grandir depuis mon départ. Je te tiendrai informé de mon état et j’espère pouvoir te rejoindre quelques jours avant de repartir au combat. Mon cher cœur, je me trouve actuellement à l’hôpital de Sainte-Menehould, ici on prend soin de moi, les médecins et les infirmières sont à notre chevet avec beaucoup de dévotion.
Je me sens soulagé de ne plus être dans la tranchée. Mes pensées sont égoïstes, mais je sais très bien que nous pensons tous comme ça. Le froid approche, je pense aux fêtes de Noël et j’espère pouvoir les passer cette année en compagnie de ma famille. Nous l’espérons tous.
Mon cher cœur, je dois malheureusement vous quitter, mais je vous écrirais chaque jour pour vous tenir un compte rendu sur mon état de santé. Écris-moi pour me parler de notre fils, de nos voisins, de tout ce qui peut me faire oublier cette guerre.

Embrasse notre fils pour moi, je t’aime tendrement.

Alphonse Derny


Journal de Marie Lemarchand
Extrait du 20 octobre 1915.

Cher journal,
Les jours se ressemblent. Voilà plus d’un an que nous avons dit adieu à nos vies tranquilles. Je me sens vieille, tellement vieille depuis que j’ai perdu l’insouciance des jours heureux. Chaque jour, je vois ces soldats dans les rues, certains sont gravement mutilés et errent comme des mendiants dans les rues, attendant leur retour dans les tranchées. Maman m’a interdit de rester en dehors de la maison quand la nuit est tombée. Pour elle c’est trop dangereux. Les regards des hommes, de tous ces étrangers de Sainte-Menehould lui font peur. Elle veut me protéger, mais j’étouffe. Cette guerre m’étouffe. Je tremble à chaque fois que j’entends les grondements des bombes dans le lointain. J’ai peur que la guerre vienne à nos pieds. Nous avons les soldats, mais je sais qu’ils ne pourront pas nous protéger.
L’automne est là, rendant cette atmosphère plus hideuse. Hier encore je pleurais la mort d’un camarade de classe. Leurs noms sont inscrits sur le tableau de l’école. Tous ces jeunes morts pour la France. Tous ces jeunes hommes avec qui j’ai dansé au bal de printemps de 1914. Ils ne sont plus. Je les pleure, surtout mon pauvre Jean. Nous n’étions pas fiancés, mais on s’aimait. Il voulait attendre la fin de la guerre pour demander ma main. Aujourd’hui, il n’est plus là et son corps disparu n’a jamais pu être ramené. Je déteste cette guerre qui me tue à petit feu. Ma jeunesse est perdue et je ne sais si j’aurai un avenir. Sans Jean, qui pourrais-je espérer ? Les hommes qui sont restés sont tous vieux ou gravement défigurés. Je sais que dans mon malheur j’ai de la chance. Chaque jour, je vois cette pauvre Lucie prendre la route de la ferme pour aider sa mère. Son père et ses frères sont tous partis à la guerre. Les travaux reviennent maintenant aux femmes et le gouvernement nous encourage tous dans l’effort de guerre. Nous sommes tous en guerre. Nous faisons tous la guerre à notre façon. Moi j’attends, j’aide les plus démunis auprès de maman. Je souffre. Je survis en attendant la fin de ces jours maudits.